LE BRIQUETIER

  
Le métier n'était pas facile, c'est vrai. Une brique est le résultat subtil entre la terre, l'air et le feu. Il faut être un peu alchimiste pour réussir à transformer une motte de vulgaire argile, grise et terne, en une noble pièce ambrée. Mais entre ces deux aspects, que d'efforts on devait déployer!

On extrayait la glaise durant l'hiver, par tranchées régulières de trois mètres de profondeur. Cela se faisait à la bèche (…) C'était généralement la part du maître tuilier; un compagnon l'aidait parfois. Les autres ouvriers fagotaient dans les taillis, car la prochaine saison de cuisson dévorerait pas moins de trente-cinq mille fouées! Ils choisissaient en principe du bois blanc, du sapin de préférence, au grand jamais du chêne dont le tanin "flammait" les briques (…)

Le moulage L'ancienne méthode de moulage était des plus simples. Le tuilier utilisait des planchettes pouvant supporter deux briques. Il remplissait ses gabarits en fer, les tassait parfois au sabot, les surfaçait, enfin d'une secousse brusque les démoulait sur la planchette. Pour les tuiles, il utilisait des palette recourbées.

 Le sèchage Un gamin tout frais sorti de l'école, le drôle, s'emparait alors de la planchette garnie, se la calait sur l'épaule et se dépêchait jusqu'au séchoir pour y déposer les briques (…) Le séchoir ressemblait à une remise pentue, ouverte de tous côtés, de trente-trois mètres de long sur onze de large. Les briques étaient disposées en "échoiseaux" sur des rayonnages, c'est à dire étagées en quinconce sur sept lits. Celles d'une même rangée ne se touchaient pas. Un couloir divisait le séchoir par son milieu pour faciliter les fréquentes inspections du maître tuilier.

Lorsque celui-ci jugeait les briques suffisamment fermes, il les empilait, toujours sous le séchoir, mais devant les rayonnages, en tourelles de soixante-douze pièces chacune (…) Cette phase de dessication des briques crues était déterminante pour la qualité du produit. Il convenait de (…) ne point laisser les courants d'air surprendre l'argile. Sinon les briques séchaient sur leurs flancs mais conservaient leur humidité au-dedans. Donc craquaient à la cuisson. On remédiait à ces déconvenues en tendant des toiles ajourées autour de la remise.

Un bon séchage demandait deux mois; c'est la coloration de l'argile qui indiquait son terme. Une brique séchée était beige quand on la grattait à l'ongle (…)

Les dimensions d'une brique commune était de 22 centimètres en longueur, 11 en largeur et 5 ou 5,5 d'épaisseur. Il fallait tenir compte d'un retrait de huit à dix pour cent lors du séchage.

La cuisson Le chargement du four mobilisait une importante main d'œuvre. On enfournait jusqu'à soixante-cinq tonnes d'argile par cuisson, laquelle cuisson consommait ses trois mille fagots au bas mot.

L'enfournage nécessitait une semaine de rude travail, et délicat avec ça. Une chaîne de trois ou quatre ouvriers se mettait en position de passe tandis que le tuilier glissait son palier dans les encoches prévues à l'ouverture du four. Perché là-dessus, il arrangeait ses briques sur une hauteur de quatre à cinq mètres de haut, toujours en quinconce et espacées pour que les flammes puissent bien les lécher (…) Enfin on obstruai le four et on allumait (…)

On "enfumait" pendant les deux ou trois premiers jours à petit feu (300°), et l'on surveillait les volutes qui s'échappaient de la cheminée. Tant que la fumée demeurait blanche, on savait que la terre à brique contenait toujours sa buée et que la surveillance pouvait se relâcher; mais dès qu'elle devenait grise, le moment était de pousser à grand feu (950°) et de ne plus s'accorder la moindre inattention. Pendant trois jours et deux nuits, sans interruption on rechargeait le foyer tous les quarts d'heure. La gueule de la cheminée devait cracher des langues d'enfer. On contrôlait la cuisson par un lucarneau. On se relayait à la mi-nuit. La fournée risquait de louper si l'un s'assoupissait (…)

La vérification En sortie de four, après une semaine de refroidissement, le maître tuilier faisait "sonner" les pièces une à une, afin d'en déceler, au bruit, les éventuels défauts.

A cette époque, la tuilerie cuisait ses dix à douze fournées par saison. Elle employait cinq hommes, pour la plupart des gens des environs. On embauchait parfois en renfort des saisonniers (…) qui rappliquaient au premier mars et repartaient fin octobre, quand le temps se remettait aux froids.

Extraits de l'ouvrage: "Les Gagne-Misère"
 

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Auteur
 

Editeur
Les petits métiers oubliés Gérard Boutet Jean-Cyrille Godefroy



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